Henry va donc devenir l’élève de Louis Le Nain et parfaire sa connaissance de la peinture, lui qui a fui, plus jeune, la Prusse dévastée par les guerres et les épidémies de peste, puis La Haye où il a fait trois années d’apprentissage.

Le matin, il entre parmi les premiers dans l’atelier des frères Le Nain, affamé de l’odeur des huiles sur la toile et de ces pigments qu’il va mélanger puis étaler. Le monde se crée et se recrée à l’envi ici sous les combles. Les formes émergent, la vie dont il est assoiffé explose au grand jour.

Fasciné par les toiles des frères Le Nain, il apprend à leur contact et à celles des autres élèves, comme cet Israël Silvestre qui croule sous les liasses de dessins qu’il a rapportés de Rome.

Mais Henry cache pourtant un secret. Un secret laissé là-bas, dans son Allemagne natale, et qui ne lui laisse aucun répit. Son frère Mathias était lui aussi très doué pour la peinture. Si seulement il était revenu à temps… Il était torturé par des souvenirs indicibles que n’estompait plus le travail routinier imposé par le maître. Seules des couleurs nouvelles parviendraient à les chasser. Il sait qu’il ne s’est pas trompé en cédant à cette soif d’ailleurs qui le tenaillait.

Heureusement il y a la maison de Louis Buart qui le loge pour le réconforter. Louis Buart est maître-peintre de son état. Il lui a proposé de travailler avec lui. Et Henry se sent tout de suite très bien dans cette demeure, aux côtés de Magdeleine, l’épouse de Louis, mais surtout de la belle Catherine, sa fille…

Henry Strésor est connu pour son tableau Le Mangeur d’huîtres passé à la postérité. Cécile Oumhani s’est librement inspirée des rares éléments biographiques le concernant, mais aussi des informations sur sa fille, Anne-Renée, très douée également pour la peinture, et qui va devenir l’une des premières membres de l’ancienne Académie royale de peinture et de sculpture. La seconde partie racontera en effet l’histoire d’Anne-Renée, de sa vaine fierté à être une des premières femmes reçues à l’Académie royale, l’admiration autant que la curiosité teintée de méfiance qu’elle suscite, puis son choix de rejoindre les religieuses de la Visitation de Chaillot, dont Cécile Oumhani imagine les raisons.

Avec beaucoup de style, l’auteure, qui a bénéficié d’une résidence d’écriture au Musée-Promenade de Marly-le-Roi en 2010, à l’invitation de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, évoque la vie d’Henry Strésor et nous la restitue tout en finesse et sensibilité.

Un livre à recommander à tous les amateurs de peinture autant que d’histoire, comme à tous les lecteurs en quête d’une belle écriture.

Alice-Ange

Extrait :

Un après-midi de juillet, on vient mander Louis Buart chez la reine mère. Magdeleine est à l’église. Catherine Buart entre avec du vélin. Strésor pense que sa chair en a la pâleur d’ivoire. Elle pose la feuille sur sa planche de bois, replie les bords en dessous puis les colle avec soin. Quelques mèches sombres retombent sur son front, tandis qu’elle en découpe les coins. Le petit couteau dérape contre son pouce. Elle nettoie de son mouchoir la plaie qui saigne abondamment. Il s’approche et penché au-dessus d’elle, tamponne le liquide écarlate. Le grenat foncé de sa robe exalte la blancheur de sa gorge. Transporté, il l’enlace, s’abandonne à la douceur de sa bouche. Ses doigts ouverts suffisent à entourer sa taille moulée dans le corsage. Leurs murmures s’échappent dans le jour finissant. Ils se mélangent au vent qui se lève à la fenêtre… Les joues de Catherine Buart sont vermeilles lorsqu’elle ajuste ses manches et s’apprête à le laisser. Il l’attire vers lui et l’embrasse, affolé par sa poitrine brûlante.

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L'atelier des Strésor de Cécile Oumhani - Éditions Elyzad - 160 pages