Le cadavre d'une adolescente étranglée et dénudée selon un étrange rituel, a été retrouvé près de la rivière Baztan. Peu avant, il y avait eu un crime similaire, et on avait arrêté un peu vite un coupable tout désigné : il faut tout reprendre. Amaia Salazar en tant que native d'Elizondo est alors envoyée par sa hiérarchie pour diriger l'enquête. Accompagnée de son mari, un sculpteur américain, elle retrouve la maison de sa tante Engrasi dans laquelle elle a passé une partie de son enfance, et ses deux sœurs, Ros et Flora, qui s'occupent de Mantecados Salazar, l'entreprise familiale dont la spécialité est un gâteau typiquement basque, le « txatxingorri », qui va jouer un grand rôle dans l'histoire.

Très vite un malaise s'installe : l'enquête piétine, les pistes possibles s'effacent l'une après l'autre. Amaia est en butte au machisme latent d'une partie de son équipe et à l'hostilité déclarée de son collègue Fermin Montes, mécontent de ne pas avoir le premier rôle dans cette affaire. Rompue aux méthodes d'investigation les plus modernes, d'esprit rationnel, elle doit aussi prendre en compte des croyances bien enracinées dans l'esprit des habitants, pour lesquels ces crimes sont l’œuvre d'un être mythique, mi-homme, mi-bête, gardien invisible de la pureté de la forêt, le besajaun. Mais surtout, elle doit faire face à ses propres terreurs, nées d'une enfance traumatisante qu'elle avait cru fuir et oublier jusque-là, mais qui resurgissent avec violence dès qu'elle retrouve Elizondo et sa famille. Ce qui fait vraiment obstacle à la résolution de l'enquête, ce ne sont pas tant les événements extérieurs ou l'hostilité de certains de ses proches, que son propre refus d'affronter le passé.

On le voit, Le gardien invisible n'est pas seulement un polar à l'intrigue bien menée, mais classique, c'est surtout un roman familial très noir qui tient en haleine le lecteur jusqu'aux dernières pages. L'atmosphère de magie qui imprègne un paysage resté sauvage et rendu plus inquiétant par le brouillard et la pluie d'un hiver interminable, contribue à l'envoûtement que procure le récit.

La construction est aussi très efficace, la progression de l'enquête et le malaise grandissant d'Amaia qui tend à s'identifier aux jeunes victimes, alternant avec les scènes les plus cauchemardesques de son enfance. Mais si le coupable est identifié, tout n'est pas résolu, loin de là : la romancière laisse des pistes non explorées pour une suite, car Le gardien invisible est le premier volet de « La Trilogie du Baztan » qu'elle consacre à son héroïne et à cette région de Navarre. La deuxième partie, parue en Espagne, est, je l'espère, en cours de traduction ! On a hâte de savoir la suite de cette histoire très prenante.

Marimile

Extrait :

Et la présence. Elle la sentit si proche et maléfique que son cœur bondit dans sa poitrine et au gré d'une convulsion presque sonore. Avant d'ouvrir les yeux, elle savait déjà qu'elle était là, debout près du lit. Elle l'avait observée, avec son sourire tordu et ses yeux froids, secrètement amusée à l'idée de la terroriser, ainsi qu'elle le faisait quand Amaia était petite et qu'elle le faisait encore aujourd'hui, car après tout, elle vivait dans sa peur. Amaia le savait, mais elle ne pouvait éviter la panique qui, telle une dalle, l'écrasait en l'immobilisant, la transformant en la fillette tremblante qui luttait contre elle-même pour ne pas ouvrir les yeux. « Ne les ouvre pas, ne les ouvre pas. » Mais elle les ouvrit, et elle savait déjà que son visage était penché sur elle, s'approchant encore tel celui d'un vampire qui avait l'intention non de boire son sang, mais son souffle.

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Le gardien invisible de Dolorès Redondo - Éditions Stock - 453 pages
Traduit de l'espagnol par Marianne Million