En France, le jeune Alam va suivre le parcours de nombreux étrangers arrivés par la voie des circuits clandestins d'immigration : demande de carte de séjour qui n'aboutit pas, séjour dans un foyer dont il s'échappe, vit avec des trafiquants dans un hangar désaffecté de la banlieue parisienne.

La partie européenne et française du roman est intéressante, toujours très imagée, comme sait bien le faire Hubert Haddad. Il y a notamment ces moments assez décalés où le jeune hommes cherche le pont Alam, à Paris, car on lui a dit que là-bas logeaient des émigrés venus de son pays, qui ne l'accepteront pas. Mais le plus intéressant et passionnant dans ce roman reste la description de la vie d'Alam en Afghanistan, à l'époque où il était surnommé l'Evanoui, en souvenir d'un moment de son enfance.

L'évanoui y vit avec son frère aîné Alam le borgne, dont il héritera du prénom, son père, sa mère et sa grand-mère. La vie au village est marquée par la culture et les trafics d'opium. Lorsque les responsables descendent avec leurs grosses voitures et leur débauche de luxe, c'est le branle-bas de combat. Mais rapidement, les luttes entre clans puis l'intervention des militaires occidentaux mettent fin à tout cela. La campagne afghane devient un lieu de combat, et c'est là que la vie de l'Evanoui devient une tragédie, en proie aux désirs de chefs militaires islamistes et à des oppositions familiales. Hubert Haddad arrive à y mêler la poésie de son écriture et les thèmes habituels de la tragédie antique. Au cœur de ce roman, ces passages sont un vrai coup de force, qui donne tout son ampleur à cette histoire tragique et malheureusement inéluctable.

Yohan

Du même auteur : Palestine, Théorie de la vilaine petite fille

Extrait :

Une fois ses hommes postés aux endroits stratégiques, le Khan se présenta sans détour au porte-parole du village. On connaissait sa superbe, la façon qu'il avait de rajouter des liasses d'afghanis de sa poche aux sommes versées par un intendant aux longues moustaches surnommé Ala ad-Din. En chef de clan, le Khan avait l'art de se concilier les antagonismes. Malgré quelques protestations des cultivateurs les moins bien lotis, tout se passa avec une civilité parfaitement avertie codes propres aux paysans de la région, anciens nomades du désert du Registan, lesquels gardaient un sens aigu de leur indépendance. Le Khan et les sages du village s'entendaient fort bien sur la question du partage des tâches : aux producteurs la récolte du latex, aux négociants le choix de risquer leur vie. On servit le thé sur une terrasse couverte pendant que la marchandise finissait d'être embarquée dans les coffres des véhicules. C'est alors qu'un coup de semonce provoqua un début de panique parmi les villageois : on venait de tirer au mortier depuis les contreforts. 

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Opium Poppy de Hubert Haddad - Éditions Zulma - 171 pages