L'intrigue se déroule au Etats-Unis, dans l'Ohio, dans les années 50 et 60. Plusieurs personnages sont au coeur du roman. Il y a tout d'abord Arvin, un jeune garçon qui doit faire face à la maladie de sa mère et à la folie religieuse de son père. Ce dernier, traumatisé par un souvenir de guerre dans la Pacifique, croit que sa foi parviendra à guérir sa femme, et il prêt à tout tenter. Le jeune Arvin, rapidement orphelin, ira vivre auprès de sa tante et de sa petite-fille, Lenora.

Roy et Theodore sont deux frères. L'un se déplace en fauteuil et tous deux font le tour des églises pour prêcher la bonne parole, n'hésitant pas à user d'artifices parfois douteux pour convaincre leur auditoire, comme cette fois où ils font tomber des araignées de leur chapeau, au risque d'effrayer le public et de de sa faire mordre. Enfin, il y a Carl et Sandy, deux amants qui partent régulièrement à la chasse à bord de leur véhicule. Leur cible : les auto-stoppeurs, qu'ils prennent en photo dans des situations érotiques avant de les tuer.

Ces trois couples, liés géographiquement mais aussi par des liens de parenté parfois lointains, sont tous confrontés à la mort et plus particulièrement au meurtre, qu'il soit volontaire ou poussé par une force mystique qui les enjoints presque de donner la mort. Personne n'est à sauver dans ce roman, car tous trouvent une bonne raison pour assouvir leurs penchants meurtriers. Même les plus innocents, comme Arvin, sont emportés dans ce tourbillon de violence et de vengeance. Il faut dire que rien n'est fait pour leur apprendre à maîtriser leurs nerfs : les policiers locaux sont corrompus jusqu'à la moëlle, et les prêtres, sous leurs allures respectables, cachent des prédateurs très dangereux.

Le Diable, tout le temps porte bien son titre : le lecteur est constamment en train de découvrir les atrocités des personnages, mais Donald Ray Pollock a veillé à ne pas rendre cela trop glauque et difficile à lire. Comme pour La nuit du chasseur, c'est l'ambiance qui est au cœur de l'ouvrage et celle instillée par l'auteur est hautement haletante et anxiogène. Il en profite pour dénoncer, par ses personnages, l'emprise de la religion sur ces populations isolées, religion qui devient l'alpha et l'oméga de la vie sociale pour nombre de paroissiens. Avec ce premier roman, Donald Ray Pollock signe une historie qui reste longtemps en tête, à la fois pour ses personnages confrontés à l'inéluctabilité de leur existence, mais aussi pour cette peinture très noire des Etats-Unis des années 1950-1960.

Yohan

Extrait :

A travers les arbres, Arvin apercevait quelques lumières briller à Knockemstiff. Il entendit claquer une portière de voiture quelque part dans le val, puis un fer à cheval cogner contre un piquet de métal ; il attendit un autre choc, mais rien ne vint. On aurait dit que mille ans avaient passé depuis le matin où les deux chasseurs, en ce même endroit, les avaient surpris, Willard et lui. Il se sentait honteux, coupable de ne pas pleurer, mais il ne lui restait plus de larmes. La longue agonie de sa mère l'avait laissé à sec. Ne sachant quoi faire d'autre, il contourna le corps de son père et dirigea la torche devant lui. Il commença à s'avancer à travers bois.


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Le Diable, tout le temps
de Donald Ray Pollock - Éditions Albin Michel - 370 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier