Villerville, c'est la ville des parents, partis pour la retraite sur la côte d'Azur, qui comptent sur leur fils pour régler au plus vite une vente à bon prix. Villerville, c'est la ville où il grandi aux côtés, ou plutôt à l'ombre, de Cyril, son frère aîné. Devenu cinéaste, il ne comprend pas son jeune frère, sa vie, encore moins les livres qu'il écrit. Villerville, c'est aussi la ville où sa relation avec Junon a pris fin, sur la plage, après une discussion sur une envie d'enfant non partagée. Il n'y est d'ailleurs pas revenu depuis.

Durant ce séjour, il va renouer involontairement avec ce passé qu'il a voulu oublié. Il retrouve d'abord Hervé, devenu agent immobilier. Hervé était un camarade de classe, un ami de Benoît, proche d'Aurélien qu'il a perdu de vue. Retrouver Hervé, c'est peut-être l'occasion de revoir Benoît, dont Aurélien s'est beaucoup inspiré pour écrire son premier roman.

Cette introspection, sur les bords de la Manche, avec pour compagnie Michelle, la très jeune fille de Junon venue le rejoindre pour une semaine, est l'occasion pour Aurélien de réfléchir. Il se rend compte qu'il n'appartient plus vraiment à cette ville du passé, où son image cartonnée trône dans la librairie mais où il a perdu de vue toutes ses connaissances. Sa vie à Paris, rêvée quand il est parti de Normandie, a tourné à la répétition après sa rupture avec Junon : sorties dans les bars, rencontres fugaces avec des filles. Ce séjour prolongé en Normandie est l'occasion de prendre de la distance avec le monde littéraire qu'il n'aime plus vraiment.

En donnant à Aurélien un métier d'écrivain, Arnaud Cathrine se donne l'occasion de faire un point sur ce métier parfois étrange. Son dernier roman, son personnage l'a écrit un peu forcé et il ne l'aime pas. Ne pas faire la tournée de promotion est presque pour lui une délivrance. Ces romans, que son frère lit pour les critiquer négativement, que son père ne lit certainement pas, ont été une libération mais ont également été un élément de fracture avec sa famille.

Je ne retrouve personne, citation tirée de l'excellente pièce de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, ouvre le roman et est reprise dans le récit. En effet, Aurélien ne retrouve ni sa famille, ni ses amis, ni lui-même. En noyant ses réflexions dans l'alcool, en essayant d'échapper à ce qu'il a construit en pensant que c'était là son chemin, il tente de donner une nouvelle inflexion à son existence, mais celle-ci semble plus marquée par les fantômes du passé que par une possible ouverture vers l'avenir. Arnaud Cathrine signe un ouvrage mélancolique, très introspectif, qui donne à penser à ceux qui ont, à un moment, fait ou eu à faire le choix de partir pour se construire.   

Du même auteur : Sweet home, La disparition de Richard Taylor, La route de Midland, Les vies de Luka, La vie peut-être, Les choses impossibles, Nos vies romancées

Yohan

Extrait :

"Le fait de se montrer sans cesse aux autres avec le masque de celui qu'on voudrait être nous fait perdre l'envie d'être véritablement celui-là et de travailler à le devenir."
Il n'y a sans doute pas de hasard : tombé là-dessus sitôt ouvert le premier tome des Papiers collés de Perros. Mon masque à moi : un garçon bien élevé, facile, rendant service, répondant volontiers à toutes les sollicitations, ayant mis un point d'honneur à recevoir on ne peut mieux dans sa petite boutique littéraire. Comme tout le monde, il m'arrive de me relâcher. J'en vois tout de suite les effets. Alors quoi de mieux, aujourd'hui, que de rester ici, n'être plus là pour personne d'autre que moi-même, lâcher ce masque idéal qui me pèse et Dieu sait qui de lui, de moi ou de nous reviendra à Paris.


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Je ne retrouve personne
d'Arnaud Cathrine - Éditions Verticales - 227 pages